Le Schipperke n’est pas un Berger Belge (Groenendael) en miniature
Par. Dr. Robert Pollet
Étude comparative de la morphologie du Schipperke et du Berger Belge, par application des lois d’échelle
La morphologie (forme extérieure d’un organisme, science de la forme corporelle) des races de chiens a toujours suscité l’intérêt des cynophiles et des juges canins (juges d’exposition). L’espèce canine est dominée par son ‘polymorphisme’ (se présentant sous des formes différentes). En effet, les différences morphologiques (de forme, de taille, de poids, etc.) entre les races canines sont énormes. Cette variabilité d’une race canine à l’autre, n’est jamais atteinte par d’autres espèces. Les scientifiques et les cynologues, qui veulent quantifier et comparer les variations vraiment infinies des formes anatomiques des races canines, ont développés de nombreux systèmes pour classer ces variations. Ces systèmes sont des descriptions qui classent les races en plusieurs types ou catégories extrêmes, sans tenir compte des types intermédiaires. Les classifications morphologiques sont décrites dans le chapitre « Morphologie », p. 42.
En ce qui concerne les trois types de chiens selon la classification des races de chiens de Baron et Dechambre, à savoir les ‘longilignes’, les ‘brévilignes’ et les ‘médiolignes’, ce n’est pas le rapport « longueur du corps/hauteur au garrot » qui détermine cette classification morphologique. Ce qui est en dernière analyse important et déterminant, c’est le rapport entre la surface et le volume du corps du chien. Chez un longiligne ce rapport est plutôt grand et chez un bréviligne plutôt petit. Le degré de brévilignité augmente quand le rapport « surface / poids » diminue, donc quand la surface diminue pour un même poids ou une même taille, et aussi quand le poids augmente pour une même taille. Pour le degré de longilignité c’est l’inverse. Le rapport surface / volume est élevé quand la forme d’un objet ou d’un organisme est très différente de celle d’une sphère, donc quand le corps du chien est élancé ou svelte.
Beaucoup d’auteurs trouvent que ces termes morphologiques (mal compris) sont vides de sens et peu instructifs, et qu’il vaut donc mieux d’employer des expressions ou des termes compris par tout le monde, comme ‘chien élancé’ pour ‘longiligne’, ‘trapu’ pour ‘bréviligne’ et ‘de proportions moyennes’, ou quelque chose de ce genre, pour ‘médioligne’. Dans les rapports de juge des Bergers Belges et du Schipperke, on lit régulièrement des expressions comme ‘tête médioligne’, ce qui ne nous apprend évidemment rien du tout. On pourrait même se demander si le Berger Belge et le Schipperke sont de vrais médiolignes (voir plus loin). Mentionner dans les rapports de juge ‘bonne tête’, ‘tête typique’ ou ‘tête de bonne forme’, ce qui veut dire tout simplement que la tête est de bonne morphologie, conforme aux critères (du Standard) de la race, donc une tête ‘dans le type’, est beaucoup plus compréhensible que ‘tête médioligne’. Quant au Schipperke, les rapports de juge ne nous donnent pas toujours l’impression qu’il s’agit d’une race plus bréviligne qu’un Bouvier des Flandres (voir plus loin) et donc que le Schipperke est une race ‘à tendance bréviligne’ ou peut-être une race ‘sub-bréviligne’.
Régulièrement aussi nous lisons dans des rapports de juge des Bergers Belges et des Schipperkes la description ‘jolie construction médioligne’. On pourrait donc en conclure que les Bergers Belges et aussi les Schipperkes sont des chiens typiquement médiolignes. Pourtant, nous devons être sceptiques. Ces deux races, sont-elles vraiment des médiolignes purs ? Est-ce que le Berger Belge n’est pas trop élégant pour être un vrai médioligne ? N’est-ce pas plutôt un chien qui ‘tend vers le type médioligne ? Et le Schipperke, n’est-il pas de gabarit un peu trop robuste pour être un médioligne ?
D’aucuns se figurent encore, mais tout à fait à tort, que le Schipperke est un Groenendael (Berger Belge noir à poil long) en réduction. Pourtant, la structure anatomique de ces deux races est fort différente. L’extérieur et la silhouette du Schipperke sont uniques, et le Schipperke, au point de vue anatomique, n’est comparable à aucune autre race. C’est bien dommage que ces réflexions soient encore toujours actuelles et pertinentes. En effet, même de nos jours, beaucoup de juges et d’amateurs de Schipperkes dans le monde entier, continuent à croire que cette race est à vrai dire un Berger Belge en miniature, ou que, morphologiquement (en ce qui concerne la forme extérieure et la structure), c’est un Berger Belge (un Groenendael) de petit format.
Quoique les Schipperkes et les Bergers Belges aient des ancêtres communs, à savoir une ancienne race qui est appelée ‘Leuvenaar’ (‘habitant de Louvain’ ou ‘Louvaniste’), les différences entre ces deux races, toutes proportions gardées, sont quand même importantes. En bref, le Schipperke est de conformation plus robuste ou de structure plus solide que le Berger Belge, ce qui concerne tant le corps (le périmètre thoracique et la largeur du tronc) que la tête (la largeur du crâne et la longueur du museau). La seule caractéristique morphologique identique du Berger Belge et du Schipperke est peut-être leur construction carrée (la ‘hauteur au garrot’ et la ‘longueur du corps’ qui sont égales).
Nous pouvons donc maintenant essayer de démontrer que la différence morphologique entre ces deux races est marquée, ce qui tient surtout au fait que d’une part chez le Berger Belge l’élégance est une caractéristique raciale importante, et que d’autre part chez le Schipperke, quoique sous un format réduit, sa conformation robuste et solide est essentielle. Le corps du Schipperke est en effet assez large et trapu, et quant à sa tête, le front est assez large et le museau est plus court que le crâne.
Pour prouver que le Schipperke est vraiment plus robuste et plus trapu que l’élégant Berger Belge, nous allons quantifier cette différence morphologique entre ces deux races en appliquant ce qu’on appelle la « loi d’échelle ». Pour cela, nous avons seulement besoin des tailles moyennes
et des poids moyens de ces deux races. La ‘loi d’échelle’, appelée aussi ‘loi des carrés et des cubes’, a beaucoup d’applications et est facile à comprendre. Cette loi dit que, si à densité constante, une dimension de longueur d’un corps varie, la surface va varier au carré et le volume (ou le poids) au cube. Cette loi s’applique aussi aux animaux, s’ils sont semblables dans la forme et différents seulement dans l’échelle (p. ex. quand il y a seulement des variations de taille). Il va de soi que les corps des chiens ont une même densité et que donc dans les calculs les volumes et les poids sont interchangeables.
La loi d’échelle nous apprend que quand la taille d’un individu s’accroît, par exemple quand on double la taille (hauteur au garrot) d’un chien, que sa surface est multipliée par 2² = 2 x 2 = 4.
Donc dans ce cas la surface augmente deux fois plus vite qu’une dimension de longueur. Quant au volume (ou poids) de ce chien (nous supposons que tous les chiens ont la même densité), on doit multiplier par 2³ = 2 x 2 x 2 = 8. Donc le volume ou le poids augmenteront deux fois plus vite que la surface. Ainsi, quand on augmente une dimension linéaire comme la taille, la surface du corps croît notablement, mais le volume et la masse (le poids) du corps croissent encore plus que sa surface.
Quand nous divisons la taille d’un chien par deux, sa surface est divisée par quatre (2²) et son volume ou son poids par huit (2³). Donc, quand on réduit la taille d’un animal (d’un chien), la surface décroît, mais son volume ou son poids décroît encore plus vite.
Pour nos calculs nous avons besoin des tailles moyennes et des poids moyens des Bergers Belges (BB) et des Schipperkes (Sch). Dans le Standard de race du Schipperke les tailles ne sont pas mentionnées, mais nous avons utilisé les résultats des mensurations et des pesées que nous avons effectuées lors d’une spéciale de race (voir p. 52) :
Moyennes des tailles (hauteurs au garrot) : BB 61 cm ; Sch 32,43 cm.
BB = Berger Belge, Sch = Schipperke
Moyennes des poids : BB 25 kg ; Sch 5,78 kg.
Un Schipperke pèserait 38,5 kg, s’il avait la taille d’un Berger Belge.
D’autre part, un Berger Belge ayant la taille d’un Schipperke,
pèserait 3,75 kg.
Les résultats des calculs prouvent que les morphologies (formes corporelles, structures, apparences extérieures) de ces deux races sont fondamentalement différentes. Ils démontrent que d’une part le Schipperke est beaucoup plus bréviligne (plus robuste) que le Berger Belge, et que d’autre part le Berger Belge est beaucoup moins bréviligne (de structure beaucoup plus élégante) que le Schipperke.
Nous avons effectué les mêmes calculs que plus haut, basés sur les lois d’échelle, pour comparer le Schipperke avec le Bouvier des Flandres,
Un Schipperke ayant la taille d’un Bouvier pèserait 43,39 kg et un Bouvier ayant la taille d’un Schipperke pèserait 4,56 kg.
Apparemment, toutes proportions gardées, le Schipperke est plus bréviligne (un peu plus solidement bâti) que le Bouvier, ce qui est peut-être assez surprenant.
Ces mêmes calculs peuvent être appliqués à d’autres races qui comprennent plusieurs variétés de taille. Les résultats de ces calculs nous prouvent par exemple que le Schnauzer Géant et le Schnauzer nain ne sont pas respectivement l’image agrandie et un modèle réduit du Schnauzer moyen. Pourtant, le Standard stipule que les variétés de taille de cette race doivent avoir les mêmes proportions corporelles.
Quant au Spitz Allemand et le Caniche, deux races ayant plusieurs variétés de taille, les morphologies mentionnées dans leurs Standards ne sont pas conformes aux lois d’échelle.
On sait en effet que chez d’autres espèces (p. ex. les chevaux), chez lesquelles il peut y avoir des différences de format (taille et poids), les proportions corporelles sont très différentes. En général, les animaux ‘de petite taille’ ou ‘en miniature’ ont, par rapport aux grands exemplaires, un corps plus large, une ossature plus forte et une tête plus courte, dont le front est plus large.
Quant aux Collies et Shelties par exemple, quoiqu’en pensent beaucoup de juges, le Sheltie n’est pas vraiment un Collie en miniature.
L’application des lois d’échelle démontre que beaucoup de Standards de races comprenant des variétés de taille, devraient être remaniés.
Heureusement nous avons pu prouver ici, en nous basant sur des résultats de mensurations et de pesées, que le Schipperke n’est pas du tout un Berger Belge en miniature. Quoique ces deux races aient un ancêtre commun, à savoir le Leuvenaar, le Schipperke est devenu un petit Berger de conformation plus robuste et de structure beaucoup plus solide que le Berger Belge, ce qui concerne tant le corps (le tronc) que la tête du Schipperke.
Finalement nous pouvons encore faire quelques remarques sur l’utilisation du terme morphologique ‘cob’ ou ‘cobby’. C’est un terme du langage hippique anglais, utilisé pour désigner un cheval fortement charpenté et aux formes arrondies. ‘Cob’ signifie ‘une masse arrondie’ ou encore ‘un cheval musclé et trapu, aux pattes courtes et à l’ossature solide’. Il n’y a pas tellement longtemps, certains juges canins employaient encore régulièrement l’expression ‘chien bien cob’, mais maintenant le terme cob a presque disparu du vocabulaire des juges. Ce terme était utilisé abusivement quand on voulait dire qu’un chien est ‘bien carré’. Il est clair que ni le Schipperke, ni certainement une race aussi élégante que le Berger Belge, ne sont ‘cob’, et que l’utilisation de ce terme comme synonyme de ‘bâti au carré’ ou pour caractériser un chien trapu ou bréviligne doit être évitée à tout prix. C’est donc un terme qui prête à confusion, parce que ‘bâti en cob’ et ‘construit au carré’, sont deux choses différentes. Un chien ‘inscriptible dans un carré’ n’est pas obligatoirement cob, loin de là.
En anglais, les meilleurs synonymes de ‘cob’ sont ‘compact’, ‘short-bodied’, ‘thick-set’, ‘stocky’ et ‘blocky’, et en français, les traductions de ces synonymes sont ‘compact’, ‘trapu’, ‘ramassé’, ‘râblé’ et éventuellement ‘tassé’ ou ‘courtaud’, des termes donc qui, si nécessaire, peuvent être utilisés plutôt que cob ou cobby.
Le Schipperke n’est pas un Berger Belge (Groenendael) en miniature*
Étude comparative de la morphologie du Schipperke et du Berger Belge par application des lois d’échelle
Par Dr. Robert Pollet
Membre de la Commission belge des Standards
Résumé
En appliquant les lois d’échelle nous avons calculé qu’un Schipperke ayant la taille d’un Berger Belge (Groenendael) (taille moyenne 61 cm ; poids moyen 25 kg) pèserait 38,5 kg. D’autre part, un Groenendael ayant la taille d’un Schipperke (taille moyenne 32,4 cm ; poids moyen 5,78 kg) pèserait 3,75 kg.
Les résultats de ces calculs prouvent que les morphologies (formes corporelles, structures, apparences extérieures) de ces deux races sont fondamentalement différentes. Le Berger Belge est un chien médioligne mais avec une structure élégante et le Schipperke est également un chien médioligne, mais à tendance bréviligne, autrement exprimé, avec une tendance à la robustesse.
Ces mêmes calculs ont été appliqués au Bouvier des Flandres qui, apparemment, toutes proportions gardées, est un peu moins solidement bâti que le Schipperke.
L’application des lois d’échelle démontre que beaucoup de standards de races comprenant des variétés de taille, devraient être remaniés.
La signification des termes morphologiques longiligne, médioligne, bréviligne et cob(by) est expliquée.
La morphologie (forme extérieure d’un organisme, science de la forme corporelle) des races de chiens a toujours suscité l’intérêt des cynophiles et des juges canins (juges d’exposition). L’espèce canine est dominée par son polymorphisme. En effet, les différences morphologiques (de forme, de taille, de poids, etc.) entre les races sont énormes. Cette variabilité d’une race canine à l’autre n’est jamais atteinte par une même espèce. Les scientifiques et les cynologues qui veulent quantifier et comparer les variations vraiment infinies des formes anatomiques des races ont développés de nombreux systèmes pour classer ces variations. Ces systèmes sont des descriptions qui classent les races en plusieurs types ou catégories extrêmes, sans tenir compte des types intermédiaires.
La classification morphologique des races la plus connue est peut-être celle introduite par Baron et Dechambre. Elle est basée sur les proportions corporelles. Cette classification répartit les chiens en trois types fondamentaux (1) :
– le longiligne : néerlandais, langlijnig ; anglais, longilineal, longlined ; allemand, langlinig ; espagnol,
longilíneo ; syn. dolichomorphe (aux formes allongées, de forme élancée) ; élancé ou svelte ; la tête
est allongée (dolichocéphale) ; les membres sont longs (haut sur pattes, enlevé, la hauteur sous le
sternum est importante).
– le bréviligne : néerl. kortlijnig ; angl. brevilineal, shortlined ; allem. kurzlinig ; esp. brevilíneo ; syn.
brachymorphe (de forme courte, large et trapue) ; trapu, ramassé, compact, robuste ; la tête est
courte (brachycéphale) ; les membres sont courts (‘près de terre’).
– le médioligne : néerl. middellijnig ; angl. mediolineal ; allem. mittellinig ; esp. mediolíneo ; syn.
mésomorphe (aux proportions/formes moyennes, intermédiaire entre dolichomorphe et
brachymorphe) ; se dit d’un type morphologiquement intermédiaire, ni longiligne, ni bréviligne, ou
d’un chien aux proportions harmonieuses ou moyennes ; la tête se situe entre les dolichocéphales
et les brachycéphales (est mésocéphale) ; la hauteur au garrot est en général égale à la longueur du
corps ; la majorité des chiens, dont les bergers, appartiennent aux médiolignes ; ce type correspond
au ‘type loup’ ou ‘type lupoïde’, un terme de la classification ou de la typologie établie par Georges
Cuvier (1800) et Pierre Mégnin (1897). Le Schipperke et le Berger Belge sont des chiens de type
lupoïde.
Selon une autre classification, celle de Baron et Dechambre, un animal longiligne est souvent
‘convexe’ (arrondi vers l’extérieur), un médioligne est ‘rectiligne’ (limité par des droites) et un
bréviligne est ‘concave’ (présentant une surface en creux), mais les exceptions sont nombreuses.
Il convient de rappeler qu’un chien ne répond jamais à un type morphologique pur. Lorsqu’on parle
de type, il s’agit d’une ‘tendance dominante’ du sujet, ce qui n’exclut donc pas d’autres
caractéristiques.
Le plus souvent, ces termes morphologiques sont mal compris, même par les juges. On a par
exemple toujours pu lire dan le standard du Berger de Brie ‘La longueur du corps doit être plus
importante que la hauteur, le Briard est longiligne.’ Selon M. Luquet le Briard est un chien qui tend
vers le type ‘sub-longiligne’, ce qui n’est pas très satisfaisant non plus comme classification
morphologique. J’ai pu attirer l’attention de la Commission des Standards de la FCI sur cette erreur
fondamentale (le Briard n’est pas un longiligne mais un médioligne) et dans le tout dernier
standard du Berger de Brie de 2009 on ne retrouve plus le terme ‘longiligne’ et la race et devenue
‘médiologne’. Malheureusement, le mal est fait et on peut encore toujours lire un peu partout dans
la littérature canine que le Briard est longiligne.
En ce qui concerne les trois types de chiens, les longilignes, les brévilignes et les médiolignes,
ce n’est pas le rapport longueur du corps / hauteur au garrot qui détermine cette classification
morphologique. Ce qui est en dernière analyse important et déterminant, c’est le rapport entre la
surface et le volume du corps du chien. Chez un longiligne ce rapport est plutôt grand et chez un
bréviligne plutôt petit. Le degré de brévilignité augmente quand le rapport surface / poids diminue,
donc aussi quand le poids augmente pour une même taille. Pour le degré de longilignité c’est
l’inverse. Le rapport surface / volume est élevé quand la forme d’un objet ou d’un organisme est
très différente de celle d’une sphère, donc quand le corps / le sujet est élancé ou svelte.
Beaucoup d’auteurs trouvent que ces termes morphologiques (mal compris) sont vides de
sens et peu instructifs et qu’il vaut donc mieux d’employer des expressions ou des termes compris
par tout le monde, comme ‘chien élancé’ pour longiligne, ‘trapu’ pour bréviligne et ‘de proportions
moyennes’ ou quelque chose de ce genre pour médioligne. Dans les rapports de juge des Bergers
Belges on lit régulièrement des expressions comme ‘tête médioligne’, ce qui ne nous apprend
évidemment rien du tout. On pourrait même se demander si le Berger Belge est un vrai médioligne
(voir plus loin). Mentionner dans les rapports de juge ‘bonne tête’, ‘tête typique’ ou ‘tête de bonne
forme’, ce qui veut dire tout simplement que la tête est de bonne morphologie, conforme aux
critères (du standard) de la race, donc une tête ‘dans le type’, est beaucoup plus compréhensible
que ‘tête médioligne’. Quant au Schipperke, les rapports de juge ne nous donnent pas toujours
l’impression qu’il s’agit d’une race plus bréviligne qu’un Bouvier des Flandres (voir plus loin) (10) et
donc que le Schipperke est une race ‘à tendance bréviligne’ (5) ou peut-être une race ‘sub-réviligne’.
Régulièrement aussi nous lisons dans des rapports de juge des Bergers Belges et des
Schipperkes la description ‘jolie construction médioligne’. On pourrait donc en conclure que les
Bergers Belges (2) et aussi les Schipperkes sont des chiens typiquement médiolignes. Pourtant,
nous devons être sceptiques. Ces deux races, sont-elles vraiment des médiolignes purs ? Est-ce que
le Berger Belge n’est pas trop élégant pour être un vrai médioligne ? N’est-ce pas plutôt un chien
qui ‘tend vers le type médioligne ? Et le Schipperke, n’est-il pas de gabarit un peu trop robuste
pour être un médioligne ? Il y a longtemps déjà que nous avons publié une étude comparative des
Bergers Allemands, Belges et Hollandais, du Saarlooswolfhond (Chien loup de Saarloos) et du
Schipperk (4). En ce temps-là (1987), la raison pour laquelle je voulais également comparer le petit
Schipperke avec ses grands frères n’était pas tellement évidente. J’écrivais que la raison principale
en était que d’aucuns se figuraient à tort que le Schipperke est un Groenendael (Berger Belge noir à
poil long) en réduction, mais que la structure anatomique de ces deux races était pourtant fort
différente et que l’extérieur et la silhouette du Schipperke étaient uniques, donc que le Schipperke,
au point de vue anatomique, n’est comparable à aucune autre race. C’est bien dommage que ces
réflexions soient encore toujours actuelles et pertinentes (5, 6, 7). En effet, même de nos jours,
beaucoup de juges et d’amateurs de Schipperkes dans le monde entier continuent à croire que
cette race est à vrai dire un Berger Belge en miniature, ou que morphologiquement (en ce qui
concerne la forme extérieure et la structure) c’est un Berger Belge (Groenendael) de petit format
(6). Quoique les Schipperkes et les Bergers Belges aient des ancêtres communs, à savoir une
ancienne race qui est appelée ‘Leuvenaar’ (‘habitant de Louvain’ ou ‘Louvaniste’), les différences
entre ces deux races, toutes proportions gardées, sont quand même importantes (3). En bref, le
Schipperke est de conformation plus robuste ou de structure plus solide que le Berger Belge, ce qui
concerne tant le corps (le périmètre thoracique et la largeur du tronc) que la tête (la largeur du
crâne et la longueur du museau) (3) (9). Qu’aussi bien le Berger Belge que le Schipperke sont de
construction carrée (la ‘hauteur au garrot’ et la ‘longueur du corps’ sont égales) rend la
comparaison morphologique entre ces deux races plus facile et plus justifiable.
Nous pouvons donc maintenant essayer de démontrer que la différence morphologique
entre ces deux races est marquée, ce qui tient surtout au fait que d’une part chez le Berger Belge
l’élégance est une caractéristique raciale importante (8) et que d’autre part chez le Schipperke,
quoique sous un format réduit, sa conformation robuste et solide est essentielle (5) (6) (7). Le
corps du Schipperke est en effet assez large et trapu et quant à sa tête, le front est assez large et le
museau est plus court que le crâne (9).
Pour prouver que le Schipperke est vraiment plus robuste et plus trapu que l’élégant Berger
Belge, nous allons quantifier cette différence morphologique entre ces deux races en appliquant ce
qu’on appelle la « loi d’échelle ». Pour cela, nous avons seulement besoin des tailles moyennes et
des poids moyens de ces deux races. La ‘loi d’échelle’, appelée aussi ‘loi des carrés et des cubes’, a
beaucoup d’applications et est facile à comprendre. Cette loi dit que, si à densité constante, une
dimension de longueur d’un corps (L) varie, la surface va varier au carré (L²) et le volume (ou le
poids) au cube (L³). Cette loi s’applique aussi aux animaux, s’ils sont semblables dans la forme et
différents seulement dans l’échelle (p. ex. les variations de la taille des animaux). Il va de soi que les
corps des chiens ont une même densité et que donc dans les calculs les volumes et les poids sont
interchangeables.
La loi d’échelle nous apprend que quand la taille d’un individu s’accroît, par exemple quand
on double la taille (hauteur au garrot) d’un chien, que sa surface est multipliée par 2² = 2 x 2 = 4.
Donc dans ce cas la surface augmente deux fois plus vite qu’une dimension de longueur. Quant au
volume (ou poids) de ce chien (nous supposons que tous les chiens ont la même densité), on doit
multiplier par 2³ = 2 x 2 x 2 = 8. Donc le volume ou le poids augmenteront deux fois plus vite que la
surface. Ainsi, quand on augmente une dimension linéaire comme la taille, la surface du corps croît
notablement, mais le volume et la masse (le poids) du corps croissent encore plus que sa surface.
Quand nous divisons la taille d’un chien par deux, sa surface est divisée par quatre (2²) et son
volume ou son poids par huit (2³). Donc, quand on réduit la taille d’un animal (d’un chien), la
surface décroît, mais son volume ou son poids décroissent encore plus vite. Si par exemple un
homme de 2 mètres pèse 120 kg, des personnes ayant la même forme corporelle et mesurant
1,8 m (90%), 1,5 m (75%), 1,25 m (62 ,5%) ou 1 m (50%), pèseraient respectivement 87,5 kg
(72,9%), 50,66 kg (42,2%), 29,29 kg (24,4%) et 15 kg (12,5%). Entre parenthèses les réductions de
taille et de poids sont mentionnées en pourcentages. Ces pourcentages nous indiquent combien
plus rapidement les poids diminuent par rapport à une dimension de longueur (la taille).
Pour nos calculs nous avons besoin des tailles moyennes et des poids moyens des Bergers
Belges (BB) et des Schipperkes (Sch). Dans le standard de race du Schipperke les tailles ne sont pas
mentionnées, mais nous avons utilisé les résultats des mensurations et des pesées que nous avons
effectuées lors d’une spéciale de race (5) et que nous avons d’ailleurs employés pour rédiger le
nouveau standard de race du Schipperke :
Moyennes des tailles (hauteurs au garrot) : BB 61 cm ; Sch 32,43 cm.
Moyennes des poids : BB 25 kg ; Sch 5,78 kg.
1. Nous allons d’abord calculer le poids qu’aurait un Schipperke, s’il avait la taille d’un Berger
Belge. Le rapport des deux tailles est de 61 : 32,43 = 1,881.
Le Schipperke pèserait donc 6,655 x 5,78 = 38,5 kg (1,881 x 1,881 x 1,881 = 6,655).
Peut être calculé autrement : 5,78 : (32,43/61)³ = 38,5 kg.
2. D’autre part, un Berger Belge ayant la taille d’un Schipperke pèserait : 25 : 6,655 = 3,75 kg.
Calculé d’une autre manière : 25 x (32,43/61)³ = 3,75 kg.
Le rapport entre le poids d’un Schipperke de même taille qu’un Berger Belge et le poids moyen
d’un Berger Belge démontre que le Schipperke est beaucoup plus bréviligne (plus robuste) que le
Berger Belge (38,5 : 25 = 1,54) et l’inverse (le rapport entre le poids d’un Berger Belge de même
taille qu’un Schipperke et le poids moyen d’un Schipperke) prouve que le Berger Belge est
beaucoup moins bréviligne (de structure beaucoup plus élégante) que le Schipperke (3,75 : 5,78 =
0,65).
En ce qui concerne le Bouvier des Flandres, dans l’avant-dernier standard FCI de cette race
on pouvait lire que le Bouvier a l’aspect général d’un chien bréviligne, une précision très
probablement basée sur le fait qu’il est bâti au carré. Nous avons pu corriger cette erreur.
Maintenant, dans le dernier standard FCI, l’aspect général du Bouvier des Flandres est devenu
‘sub-bréviligne’.
Nous avons effectué les mêmes calculs que plus haut, basés sur les lois d’échelle, pour
comparer le Schipperke avec le Bouvier des Flandres, ce qui nous a donné les résultats suivants :
Poids moyen du Bouvier : (37,5 + 31) : 2 = 34,25
Taille moyenne du Bouvier : 63,5 cm.
Rapport des tailles moyennes Bouvier/Schipperke : 63,5 : 32,43 = 1,958
1. Un Schipperke ayant la taille d’un Bouvier pèserait : (1,958 x 958 x 1,958) x 5,78 = 43,39 kg.
Le rapport entre les deux poids 43,39 : 34,25 = 1,267 nous montre que le Schipperke est plus
bréviligne (26 à 27%) que le Bouvier.
2. Un Bouvier ayant la taille d’un Schipperke pèserait :
34,25 : (1,958 x 1,958 x 1,958) = 4,56 kg (le poids moyen d’un Schipperke = 5,78 kg).
Une autre façon de calculer ce poids : 34,25 x (32,43/63,5)³ = 4,56 kg.
Le rapport 5,78 : 4,56 = 1,267 prouve également qu’un Schipperke est de 26 à 27% plus
bréviligne qu’un Bouvier, ce qui est un résultat peut-être assez surprenant.
Le Bouvier est évidemment plus bréviligne que le Berger Belge : un Bouvier de la taille d’un Berger Belge pèserait 34,25 : (63,5/61)³ = 30,36 kg, donc bien plus que les 25 kg du Berger Belge.
Les différences entre d’une part les poids d’un Bouvier des Flandres ou d’un Schipperke ayant la taille d’un Berger Belge et d’autre part le poids d’un Berger Belge ayant la taille moyenne prescrite sont respectivement : 30,36 – 25 kg pour le Bouvier et 38,47 – 25 kg pour le Schipperke. Ces différences de poids peuvent être considérées comme des mesures du degré de (la tendance à la) brévilignité d’un Bouvier et d’un Schipperke.
Ces mêmes calculs peuvent être appliqués à d’autres races, par exemple les Schnauzers
Allemands, c’est à dire le Schnauzer, le Schnauzer Géant et le Schnauzer Nain, dont les standards
sont fondamentalement les mêmes, sauf les tailles et les poids. Ces trois standards précisent que le
Schnauzer Géant et le Schnauzer Nain doivent être respectivement l’image agrandie et un modèle
réduit du Schnauzer, ce qu’ils ne sont pas en réalité et ce qui est aussi un objectif irréalisable. Le
Spitz Allemand et le Caniche sont également des races qui comprennent plusieurs variétés de taille.
Dans les standards des Spitz et des Caniches les poids ne sont pas mentionnés, mais seulement les
tailles. Nous ne croyons pas que les morphologies ou les poids qui sont décrits ou mentionnés dans
les standards de ces deux races soient conformes aux lois d’échelle. Il ne suffit pas de préciser dans
ces standards que les poids des variétés doivent ‘correspondre à leurs tailles’. On pourrait même se
demander s’il est bien normal ou réaliste de spécifier, comme pour le Schnauzer, le Spitz Allemand
et le Caniche, que toutes les variétés de taille doivent avoir les mêmes proportions corporelles. On
sait en effet que chez d’autres espèces (p. ex. les chevaux), chez lesquelles il peut y avoir des
différences de format (taille et poids), les proportions corporelles sont très différentes. En général,
les animaux ‘de petite taille’ ou ‘en miniature’ ont, par rapport aux grands exemplaires, un corps
plus large, une ossature plus forte et une tête plus courte dont le front est plus large. Pour les
Collies et les Shelties par exemple il y a deux standards différents, ce qui semble logique, mais leurs
poids ne sont pas mentionnés. On ne peut donc pas démontrer en appliquant les lois d’échelle que,
quoiqu’en pensent beaucoup de juges, le Sheltie n’est pas vraiment un Collie en miniature.
Heureusement nous avons pu prouver ici, en nous basant sur des résultats de mensurations
et de pesées (5), que le Schipperke n’est pas du tout un Berger Belge en miniature. Ces deux races ont un ancêtre commun, à savoir le Leuvenaar (3) (7), mais le Schipperke est devenu un petit Berger
de conformation plus robuste et de structure beaucoup plus solide que le Berger Belge, ce qui concerne tant le corps (le tronc) que la tête du Schipperke.
Finalement nous voulons encore faire quelques remarques sur l’utilisation du terme morphologique ‘cob’ ou ‘cobby’ (2). C’est un terme du langage hippique anglais utilisé pour désigner un cheval fortement charpenté et aux formes arrondies. ‘Cob’ signifie ‘une masse arrondie’ ou encore ‘un cheval musclé et trapu aux pattes courtes et à l’ossature solide’. Il n’y a pas tellement longtemps, certains juges canins employaient encore régulièrement l’expression ‘chien bien cob’, mais maintenant le terme cob a presque disparu du vocabulaire des juges. Ce terme était utilisé abusivement quand on voulait dire qu’un chien est ‘bien carré’. Il est clair que ni le Schipperke, ni certainement une race aussi élégante que le Berger Belge ne sont ‘cob’ et que l’utilisation de ce terme comme synonyme de ‘bâti au carré’ ou pour caractériser un chien trapu ou bréviligne doit être évitée à tout prix. C’est donc un terme qui prête à confusion, parce que ‘bâti en cob’ et ‘construit au carré’ sont deux choses différentes. Un chien ‘inscriptible dans un carré’ n’est pas obligatoirement cob, loin de là. En anglais, les meilleurs synonymes de ‘cob’ sont ‘compact’, ‘short-bodied’, ‘thick-set’, ‘stocky’ et ‘blocky’ et en français les termes ‘compact’, ‘trapu’, ‘ramassé’, ‘râblé’ et éventuellement ‘tassé’ ou ‘courtaud’ peuvent être utilisés.
Littérature :
- (1)« Lexique des termes canins» (extérieur et mouvement), Dr. R. Pollet.
- (2)« Un Blue-print du Berger Belge», Dr. R. Pollet, Organe des Clubs du Chien de Berger Belge et du Schipperke (France), « Le Berger Belge et le Schipperke », N° 2, Févr. 1982, p. 47-64 (existe en onze langues).
- (3)« Encyclopédie des Chiens de Races Belges», Dr. Robert Pollet et Prof. Dominique Grandjean, 190 pages, Éd. Aniwa SAS, 2006 (existe aussi en néerlandais).
- (4)« Étude comparative des Bergers allemand, belge et hollandais, du Chien loup de Saarloos et du», par R. Pollet, dr. sc., WOUF N° 218-221, May 1987.
- (5)« Poids, taille et mensurations du Schipperke», Dr. R. Pollet, www.schipperke.be.
- (6)« Abrégé du Standard de Race du Schipperke», Dr. R. Pollet, www.schipperke.be.
- (7)« » (en anglais), Dr. R. Pollet, Interpet Publishing, 160 p., 2001, and Kennel Club Books 2005.
- (8)« Belgian Shepherd Dog» (en anglais), Dr. R. Pollet, Interpet Publishing, 160 p., 2000.
Même livre en français : « Le Chien de Berger Belge », Dr. R. Pollet, Éditions Animalia, (adapté par Dr. Philippe de Wailly), 160 pages, 2004.
- (9)« La tête du Schipperke», Dr. R. Pollet, www.schipperke.be.
(10) « Bouvier des Flandres » (en anglais ; existe aussi en espagnol, 2005), Dr. R. Pollet, 160 p.,
Ed. Interpet Publishing (2001) and Kennel Club Books (2005).
* Notons que ce qui se rapporte dans cet article aux termes longiligne, bréviligne et médioligne,
devrait surtout être intéressant pour les cynophiles et les juges francophones. Cette
terminologie morphologique n’est en effet que peu ou pas du tout utilisée en d’autres langues
que le français. Ces termes sont de toute façon mal compris ou pas compris du tout par les
non-francophones, pour qui le problème de cette terminologie trop souvent abusivement
utilisée (même par les francophones) ne se pose donc pas.